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  • : Sur cette planète, tous les chemins qui mènent à l'Art nous passionnent. Nous vous proposons de découvrir, à travers ce collectif, nos créations modestes mais ambitieuses, nos sources d'inspiration, nos engagements responsables, nos réflexions sociétales. De l'Art contemporain à l'Artisanat en passant par l'Art de vivre, nous souhaitons votre participation à cet espace de liberté, de partage et de création sous toutes ses formes. "Créer, c'est résister. Résister, c'est créer." S.Hessel
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9 mai 2012 3 09 /05 /mai /2012 20:33

 

Holderlin.-wiki-portrait-without-fram.jpg

 

 

Johan Christian Friedrich Hölderlin (1770 - 1843) est considéré comme, sinon le plus grand mais, le plus poète des poètes allemands. Heidegger le nommait " le poète du poète". A proximité de cette oeuvre qui s'élève si singulière, nous cherchons le contact avec son articulation interne. A son approche, il est possible de tenter une formulation du sens de cette poésie, elle est : le chant qui médite le divin.

Hölderlin est celui qui a vécu avec une intensité sans équivalent dans la modernité, la présence du dieu. Il en a perçu la vibration dans ce que le monde grec a laissé et dont il a hérité. Cet héritage va le conduire à interroger vraiment originellement la fonction du poète.

Il a aussi profondément senti " le défaut de communauté", et pressenti l'attaque frontale d'une industrialisation générale qui en 200 ans aura déplacé les grands équilibres de la biosphère. Hölderlin sut qu'une communauté d'hommes libres avait existé, dans le pays de la Grèce en un précieux printemps durant lequel les dieux descendaient parfois sur Terre, parmi les hommes.

Et c'est pourquoi son être ne put se résoudre à la résignation et au sommeil, alors il compose un chant au comble de l'éveil. Son chant médite simultanément la place de l'homme dans la Nature, que le poète perçoit divine et la relation d'interdépendance entre les hommes et les divinités.

Dans la nature, il médite l'unité de ses multiples manifestations : les fleuves qui sont des demi-dieux, les vents qui promettent bonne traversée aux marins, les cimes scintillantes d'argent, les bocages secrets où règne la paix, les vallées où la fleur s'abreuve aux sources, les nuages en migration, le mystère de la nuit sacrée...

Quant au divin, laissons le poète approcher. Voici la dernière strophe de l'élégie " Ménon pleurant Diotima". 

 

 

                                                                                                                    Vlad

 

 

 

                                               campagne

 

 

 

Ainsi rendrai-je grâces, ô habitants du Ciel !

Enfin le poète prie avec une âme plus lègère.

Et comme au soleil des hauteurs, avec elle, jadis,

Un Dieu du fond du temple parle, et me rend vie.

Je vivrai donc ! déjà le vert paraît ! Telle une lyre,

Appellent les montagnes d'argent d'Apollon !

Viens ! ce ne fut que rêve ! et déjà les ailes blessées

Guérissent, et toutes les espérances renaissent.

Beaucoup de choses grandes nous attendent encore, 

Et qui aima ainsi ne peut que monter vers les dieux.

Accompagnez-nous donc, ô heures consacrées,

Ô graves heures jeunes, restez, pressentiments divins,

Auprès de nous, pieuses prières, et vous ferveurs,

Et vous bons génies qui auprès des amants vous plaisez:

Restez-nous jusqu'au jour où, sur une terre commune,

Là où les Bienheureux sont prêts à redescendre,

Où sont les aigles, les étoiles, les messagers du Père,

Où sont les Muses, d'où héros et amants viennent,

Nous nous retrouverons, ou bien sur l'île de rosée

Où les nôtres enfin dans les jardins fleurissent,

Où les chants disent vrai,

Où la beauté des printemps dure.

Où pour notre âme une autre année encore s'ouvre.

 

 

 

                                                                                                        Hölderlin

 

 

 

 

 

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8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 17:34

 

#1 Fred Vargas


debout les morts

Fut un temps, déjà lointain, où je considérais que les romans policiers n'étaient que des ersatz médiocres de ceux que j'affectionnais : les "classiques" - seuls capables à mes yeux de figurer dans les rayons "Littérature" des librairies et bibliothèques. 

"- Tu lis quoi?

- Un policier...

- Non, je t'ai demandé ce que tu lisais..."

Oui, j'étais intimement convaincue que les polars n'étaient pas dignes de se trouver dans ma bibliothèque personnelle. 

Jusqu'au jour où une main avisée qui m'est chère et précieuse a glissé dans la mienne "Debout les morts"...

"- Fred Vargas, c'est qui celui-là?

- Celle-là. Une historienne, archéologue, brillante. Tu verras, c'est génial."

Une femme qui s'inquiète de la présence soudaine d'un arbre immense au milieu de son jardin à Paris, arrivé là comme par magie en une nuit seulement, c'est vrai, c'était accrocheur... Trois nouveaux voisins marginaux et atypiques, qui occupent un étage chacun au sein de leur colocation toute fraiche parce qu'il ne faut pas mélanger les genres : la préhistoire au premier étage, chez Mathias, Marc le médiéviste pose ses valises au second, et au troisième Lucien peut s'occuper de sa Grande Guerre. Un arbre, trois époques, une cohabitation de plusieurs milliers d'années et un intérêt commun pour la voisine apeurée par la poussée inopportune dans son jardin, voici les éléments d'un grand roman policier à l'envergure littéraire prodigieuse.

Fred Vargas, dans un style irréprochable, sait mettre l'épaisseur historique au service de sa narration, ses personnages en sont génialement bien pensés, sentis et l'imaginaire policier de ses romans n'en est que plus attractif et original.

Après lecture de ce petit bijou, que j'ai bien évidemment mis en évidence sur ma bibliothèque entre Zola et Camus pour faire amende honorable, je me suis empressée de tous les acheter. De "L'homme à l'envers" à "Pars vite et reviens tard", en passant par "L'armée furieuse", dernier paru, j'ai tout lu, tout aimé, tout conseillé et j'ai en prime eu le plaisir immense de faire connaissance avec Jean-Baptiste Adamsberg, commissaire phare des romans de Vargas. Il s'inscrit désormais dans la longue liste des policiers désabusés, anti-héros et fantasques que j'affectionne beaucoup. Car vous l'aurez compris, Fred Vargas a ouvert une porte, je m'y suis engouffrée et j'ai désormais beaucoup de romans policiers dans ma bibliothèque à vous conseiller.

Il n'y a que les cons... Non?


< suivant  

Emelyne


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8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 16:41

 

Sweden_Nobel_Literature-STO815-0-copie-1.jpg    

 

 

Tout au long d'une oeuvre qui se développe sur une cinquantaine d'années, Transrömer, poète suédois lauréat du prix Nobel 2011, use de la métaphore. Non une métaphore qui serait pur fantasme d'analogie mais des images forgées avec le souci d'exactitude. Ces images sont exactes, elles intègrent les règles difficilement contournables de la réalité tout en allant au plus loin dans le réel, accompagnées par leur propre halo de mystère. Cette poésie accepte la réalité telle qu'elle est mais n'entend pas renoncer à la pure présence du réel, continent qui porte et déborde de loin la réalité. Une brise longue venue des soirs du pays de scandinavie, les grandes forêts qui gardent le silence de la terre. Ici les regards portent loin, ici les silences en disent toujours plus long que les mots. 

 

                                                                                                           Vlad

 

 

                                                                                             Crêtes

 

 

En soupirant les ascenceurs entament leur montée

dans des gratte-ciel cassants comme de la porcelaine.

Sur l'asphalte dehors la journée sera chaude.

Les panneaux déjà ont les paupières baissées.

 

La terre en pente abrupte vers le ciel.

Crête après crête, et pas vraiment d'ombre.

Nous volons à Ta recherche

dans cet été de cinémascope.

 

Et je repose le soir comme un vaisseau

aux lumières éteintes, à distance raisonnable

de la réalité, alors que l'équipage

va s'ébattre là bas dans les parcs du pays.

 

 

                                                                                      Tranströmer

 

 

                                                                                                                                                     

 

 

 

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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 21:48

georg-trakl-copie-1.JPG

 

 

Georg Trakl ( 1887 - 1914 ) est un des plus grands lyriques de langue allemande du XXe siècle.

Voici une poésie qui est un monde clos, qui est énigme.

Plusieurs chemins y menent, on y entre sans s'en apercevoir.

On sait qu'on y a pris place quand le métal froid transperce la chair des émotions.

Car le poète médite le déclin et plus particulièrement le Mal,

Alors le brutal et le doux se rencontrent et se confrontent.

Une confrontation continue, où les tons obscurs, profonds et destructeurs imprègnent.

Où parfois la parole expie complétement son fardeau, sa faute

Et alors le dire du poète donne sa part de pureté.

Dans ce texte, qui est le dernier que Trakl ait écrit,

Se concentrent dans une tension qui pointe vers la rupture définitive,

Le paysage où prend place la première "boucherie" généralisée

Qui va embraser l'Europe en ce XXe siècle.

C'est aussi l'horreur du déclin personnifié dans le fracas de la mitraille,

Des bombes et des corps en pulverisation.

Ce déclin qui est aussi le déclin d'une civillisation, l'Occident.

De cette guerre dont il n'est pas revenu, il donne un témoignage.

 

 

                                                                                                            Vlad

 

        link : La traversée de la passion

        link : Esprits nomades


 

georg trakl

 

 

 

Grodek


 

Vers le soir, les forêts d'automne retentissent des armes de la mort.

Les plaines dorées,les lacs bleus et par-dessus le soleil

Encore plus sombre roule.

La nuit enserre des guerriers mourants,

La lamentation sauvage de leurs bouches en éclat.

Mais en silence s'amoncelle au fond du pâturage

Nuée rouge, là vit un dieu coléreux.

Le sang est vidé, froid de lune.

Toutes les routes débouchent dans la pourriture noire.

Sous les rameaux d'or de la nuit et des étoiles,

Vacille l'ombre de la sœur au travers du bois muet

Pour saluer les esprits des héros, les têtes en sang

Et doucement sonnent dans les roseaux les flûtes obscures de l'automne.

Ô deuil plus fier ! Ô autel d'airain !

La flamme chaude de l'esprit nourrit aujourd'hui une douleur puissante.

Les descendants qui ne verront pas le jour.

 

 

                                                                Trakl

 

                                           

 

 


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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 20:52

nature 0093-copie-1

 

.

                                                                 Vie artistique, Vie amoureuse

 

 Il existe une théorie ( "Anthropogénie" par H. Van Lier ) qui considère la vie poétique, artistique en général et la vie amoureuse comme formant système. Entre ces deux pôles de l'existence il y a complémentarité, il y a opposition. En effet, l'anthropogénie constate que l'art tient en oeuvres, l'amour en amants. Que dans l'art les effets de champ (perceptivo-moteurs et logico-sémiotiques ) sont thématisés; dans l'amour ils demeurent sous jacents. Enfin, l'art comporte un calcul, et aboutit à la réalisation d'une oeuvre, l'amour refuse l'un et l'autre. Pourtant l'art cultive l'amour, mais pour s'en nourrir.

Par ailleurs, cette théorie considère les cas où l'amour se réalise: paroxystique dans la complémentarité femelle/mâle, mais aussi quand l'autre de l'amour est du même sexe, un autre vivant en général, un objet ou une idée abstraite, comme "l'amor fati".

 

        link : Anthropogénie

 

nature 0093

 

 

 

les noix de cola recueillent dans la case vide

l'immensité étoilée appelle à la plénitude

étale  le souffle du vent arrache le toit

 


                                                                  Vlad

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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 16:26

No5-Train-de Nuit-B

 

 

 

 

Les éditions Jacques Flament proposent une collection "Leitmotive".

Le texte qui suit a concourru pour l'Opus II - que l'on peut se procurer via le site de la maison d'édition - sans succès.

Pour autant, j'y tiens et je le partage.

La contrainte du concours "Leitmotive" est la suivante: en un nombre limité de signes et avec une première phrase imposée, créer une nouvelle. Il s'agit en effet de permettre à une vingtaine d'auteurs de faire entendre leurs voix et il est fascinant de lire les diverses orientations que peuvent prendre des textes qui commencent pourtant par la même phrase introductive.

"Fatigués de lutter contre les forces d'inertie, nous roulions soudés vers la nuit, subissant l'odeur aigre des corps entremêlés. Le bruit sourd et saccadé de l'acier sur les rails étouffait les soupirs.", telle était la contrainte de l'opus II. Inutile de dire à quel point elle est suggestive, cette première phrase: déportation, immigration clandestine ou encore train à bestiaux, nombreux ont été les imaginaires qui se sont portés vers les sombres réalités, passées ou présentes, de notre histoire collective. J'ai pour ma part fait le choix de ne surtout pas aller vers ces thématiques surexploitées. Tel était le tour de force de cet exercice, à mon sens: réorienter ma nouvelle vers autre chose que ce vers quoi cette phrase tentait obstinément de la ramener, sans lui enlever sa cohérence. Voila pour la forme, quant au fond, je vous laisse juger de la portée sociétale de ce texte où intime et collectif se côtoient, où la solitude et l'individualisme, érigés de nos jours en valeurs modernes, donnent à penser leurs dérives...

 

 

 
                                                                                      « La mémoire, c’est l’imagination à l’envers. »
                                                                                                                                            Daniel Pennac.

 

                                                                    Prochains départs

 

 

 

Fatigués de lutter contre les forces d’inertie, nous roulions soudés vers la nuit, subissant l’odeur aigre des corps entremêlés. Le bruit sourd et saccadé de l’acier sur les rails étouffait les soupirs. Dehors, il pleuvait toujours. De cette pluie fine et lancinante des longs soirs d’hiver dans le nord. Ma sœur exécrait la pluie mais moi, je lui vouais une passion à la limite de la dévotion. Les jours de pluie étaient des jours sans rythme. Les heures étaient aspirées par une homogénéité sans pareille, tout semblait assourdi et feutré par le bruissement imperceptible et continu des gouttes sur les toits, les vitres, jusque sur les consciences qu’elles engourdissaient doucement. Les jours de pluie étaient ceux que je préférais.

Le train roulait toujours, l’eau venait s’écraser sur sa carcasse de métal avec un fatalisme effroyable. Je me demandais si nous étions encore loin mais n’osais pas le formuler à voix haute : tous les occupants du wagon s’étaient assoupis. Ma sœur dormait elle aussi depuis presque une heure. La tête écrasée contre la vitre qui s’embuait au rythme de sa respiration tranquille. Je me demandais où elle trouvait l’énergie de dormir. Il est des circonstances où dormir requiert une certaine énergie. Celle d’être capable de rassembler ses forces restantes pour se laisser glisser vers le sommeil insouciant.

Je ne le pouvais pas. Il ne s’agissait pas de fatigue, non, il s’agissait d’attention. Depuis l’aube j’étais attentif. A tout, à rien, je n’aurais pas su le dire. Attentif à l’air, ses moindres changements, attentif au ciel, ses moindres nuances, attentif aux uns assis près de nous dans ce compartiment tiède et surchargé, aux autres, passants éphémères sur le quai de la gare, points noirs agités dans les champs aperçus fugacement. Il me semblait que je trouverais, en restant attentif, une réponse quelque part dans l’atmosphère, le ciel, le regard d’un passant ou les gestes d’un agriculteur dans un champ. Il me semblait qu’au-delà d’une réponse, j’y trouverais peut-être même la question. Celle qui aurait dû s’imposer à moi depuis que nous étions en route. Mais je n’avais pas encore eu le temps d’y songer vraiment.

Fiona dormait toujours. La vieille femme assise près d’elle, tête pendante et bouche ouverte, dormait aussi, bercée par les mouvements incessants de cette machine bruyante et archaïque, vestige provincial. Fiona eut un léger mouvement du corps qui arracha sa figure à la vitre pour la laisser retomber, inerte, sur l’épaule de sa voisine et dans un ronflement proche du borborygme.

Ma sœur était jolie. Du plus loin que je m’en souvenais elle l’avait toujours été. Mes camarades au collège la convoitaient tous, elle avait en plus de ses traits charmants l’avantage inouï d’être lycéenne plus âgée et forcément donc plus attirante que celles que nous avions sous nos yeux tous les jours. Certains à ma place se seraient peut-être offusqués de ce désir à peine dissimulé qu’elle suscitait chez mes amis. Moi, j’étais très fier. Surtout quand elle me récupérait à la sortie des cours et qu’elle m’embrassait devant une dizaine de paires d’yeux tout ronds et pleins d’envie.

                À la voir assoupie ainsi, avachie sur une vieille dame bienheureuse qui ronflait la bouche ouverte, on aurait pu la croire en route pour des vacances. Il s’agissait pourtant de tout autre chose. De tout autre chose, à l’évidence, mais j’étais bien en peine de dire de quoi il retournait vraiment. Voilà, c’était cela précisément que j’aurais dû me demander : de quoi s’agissait-il exactement ?

Que disait la lettre déjà ?

Elle était arrivée la veille, avec un facteur zélé et une odeur officielle de papier administratif. Le cachet qui y était apposé installa immédiatement cette désagréable sensation que peuvent procurer les missives solennelles, celles que la plupart des gens répugnent à recevoir. L’office notarial en question m’était étranger, en revanche je reconnus instantanément l’adresse d’émission qui me propulsa trente-cinq ans en arrière. Dans le nord, près de Rouen, chez ma tante. L’hiver pour les vacances de Noël, l’été pour deux mois. Cette région représentait mon enfance, la partie douce et susceptible de me rendre nostalgique en tout cas. Le tampon de ce cabinet notarial me la renvoya en pleine figure, avec les odeurs de terre, de confiture et de tablier mouillé de ma tante. J’en eus le souffle coupé.

Je songeai immédiatement à ma sœur. Fiona avait-elle également reçu la visite asphyxiante d’un facteur ? Le coup de téléphone que je reçus dans le quart d’heure répondit à ma question.

« De quoi s’agit-il à ton avis ?

Elle s’était raclée la gorge, plusieurs fois, mais elle avait gardé cette voix ensommeillée que je lui avais toujours connue. Quelle que soit l’heure de la journée, Fiona avait l’air de se réveiller. Les sons s’extrayaient péniblement de sa poitrine, retenus, graves, déraillant, comme on murmure. Et puis, elle fumait trop.

Je ne sais pas. J’ai consulté les horaires de train, demain vers 18H00, cela te convient ?

A demain. »

Nous nous étions toujours beaucoup aimés avec ma sœur. De cet amour fraternel et fusionnel qui ne s’embarrasse pas de courtoisie. L’évènement avait en plus un arrière goût de mauvaise nouvelle et nous le pressentions très fortement tous deux.

                La nuit avait entièrement englouti le train depuis presque une heure maintenant, nous ne tarderions pas à arriver. La pluie cessa soudain, Fiona ouvrit les yeux, les frotta, bailla, s’étira et laissa retomber son regard encore endormi sur le paysage par delà la vitre embuée. Je ne sais pas si elle y voyait vraiment au travers, l’extérieur était enveloppé de ténèbres et elle pouvait tout aussi bien contempler son propre reflet. Je me levai pour aller fumer une cigarette. Privilège insensé des trains de province où aucun contrôleur n’y trouverait à redire. Lorsque je revins, une odeur entêtante de tabac accrochée aux doigts, elle s’était rendormie, face contre vitre, un sourire étrange aux lèvres.

                Il se remit à pleuvoir, les averses redoublaient d’intensité à mesure que nous nous rapprochions de notre destination. Lorsqu’elles n’en finissaient plus et que nous nous retrouvions bloqués des journées entières dans son étroit salon, ma tante était très habile à nous divertir. La pluie ne me gênait pas mais l’ardeur qu’elle mettait à nous la faire oublier rendait ces journées pluvieuses doublement attractives pour moi. Quant à Fiona, je crois qu’elle se laissait gagner par la bonne humeur ambiante, sans pour autant parvenir à oublier que les averses incessantes la privaient des espaces qu’offrait la campagne à sa liberté d’écolière en vacances.

Il en allait toujours ainsi.

D’abord nous restions longtemps à côté de la fenêtre. Ma sœur près de la cheminée, moi-même un peu en retrait sur un vieux fauteuil de cuir dont le contact froid me faisait frissonner mais dont l’odeur me plaisait. Je lisais souvent installé là et lorsqu’il pleuvait ainsi je restais pensif, un livre ouvert à la même page sur mes genoux, pendant de longs après-midis. Fiona déprimait et soupirait à intervalles réguliers.

Ma tante commençait toujours par mettre un disque, celui qu’elle avait rapporté un jour du supermarché, triomphante, les joues rouges et le cœur battant comme si elle revenait d’un triathlon qu’elle aurait gagné. C’était une compilation douteuse des tubes à succès du moment, de ceux que l’on retrouve au détour d’une réclame pour une mutuelle ou une banque de nos jours, mais elle y avait trouvé son morceau préféré, qui était aussi devenu le mien, à force de lui associer mes meilleurs souvenirs d’enfance. Lorsque Take Five démarrait, la version de Dave Brubeck, je savais que non seulement ce jour de pluie me ravirait mais qu’en prime il dériderait ma sœur et nous permettrait de rire ensemble de cette journée gâchée par la flotte, comme elle disait.

D’abord la musique, ensuite la poêle. La plus fine de la batterie de cuisine complète de ma tante. Elle la sortait du placard, la déposait sur la gazinière et cela sonnait le début des réjouissances : c’était à nous de faire le reste. Ma sœur récupérait la farine sur les hautes étagères, je me chargeais de sortir les œufs et le lait du frigidaire. Dans la cuisine, la pluie avait une dimension tout autre. Le toit était plus bas et le fracas des gouttes sur les tuiles nous arrivait avec plus d’intensité, comme si dans cette pièce nous pouvions mieux prendre la mesure de la puissance du ciel. Nous conservions le silence pendant tout le temps requis pour la préparation de la pâte. Ma tante ne nous aidait pas et chantonnait à l’unisson du morceau de jazz lancé en répétition sur la vieille chaîne hifi, gardant un œil bienveillant sur tous nos gestes. Le rituel était immuable. C’était à moi de verser les différents ingrédients dans le saladier puis je me contentais ensuite de le tenir fermement pendant que ma sœur mélangeait le tout, avec application et déterminée à obtenir une belle pâte, sans grumeaux. C’était par contre ma tante elle-même qui ajoutait la lichette de rhum, il n’en fallait ni trop, ni trop peu, et ce savant dosage lui appartenait entièrement, disait-elle. Ou peut-être était-ce une appréhension éducative qui consistait à refuser de nous laisser manipuler une bouteille d’alcool fort, quelle que soit son utilité culinaire. La partie cuisson était de loin la plus drôle et je m’employais toujours efficacement à coller une crêpe au plafond. Ce qui ne manquait jamais de faire pouffer ma sœur. Ma tante me lançait alors invariablement un clin d’œil complice signifiant que nous avions réussi notre mission. Ce jour de pluie lui serait moins pénible tant que je collerais des crêpes au plafond et que ma tante feindrait l’une de ses colères théâtrales.

Le souvenir de ces journées de pluie dans la cuisine humide et fraîche en Normandie me fit légèrement tressaillir et me ramena à la réalité chaude et moite du wagon qui nous rapprochait encore un peu plus de cette région. Notre région. Celle de nos vacances. Jusqu’à ce que nous ne puissions plus y retourner, parce que le nouveau compagnon de notre tante ne le souhaitait plus. Il avait dès le début nourri à notre égard une aversion à peine dissimulée et qui s’était consolidée lorsque Fiona s’était plainte une première fois de ses gestes déplacés auprès de notre chère tante. Cela sonna la fin de nos merveilleuses vacances en Normandie, et des « crêpes parties » des jours pluvieux. Je crois que depuis, je n’avais plus osé en préparer.

La lettre était trop solennelle pour que nous puissions en déduire quoi que ce soit mais en notre for intérieur nous en avions l’intuition tragique. Ma tante avait atteint ses quatre-vingt-treize ans l’année passée, il y avait fort à parier que nous nous rendions sur place pour une exécution testamentaire sordide. Jamais elle n’avait voulu avoir d’enfants à elle. Nous avoir pendant les vacances lui suffisait largement, nous murmurait-elle tendrement avant de nous border le soir. Ne plus nous avoir ensuite, parce qu’elle n’avait jamais su choisir ses compagnons de vie, l’avait probablement anéantie mais nous n’en avions jamais rien su. J’avais préféré garder pour ma part la mémoire des journées de pluie dans sa cuisine et n’avais plus jamais cherché à la contacter. Fiona pas plus que moi, du reste. 

Le saxophone de Take five résonnait dans ma tête pleine de souvenirs lointains, une voix nasillarde annonça que notre train allait entrer en gare de Rouen. Ma sœur s’éveilla à nouveau, bailla, s’étira, et leva vers le quai un regard embué de sommeil et d’incertitudes. Je pus y lire son angoisse. Ou alors était-ce la projection de mes propres appréhensions. Toujours est-il qu’elle ne m’accorda pas un regard lorsqu’elle se hissa sur la pointe des pieds pour récupérer sa valise et s’extirper du wagon à l’atmosphère surchargée d’haleines lourdes et pleines. Je lui emboitai le pas, discrètement, comme pour lui réserver un droit à la solitude en ces circonstances moroses. Elle avançait, décidée, buttée, le front bas et la mine soucieuse lorsqu’elle se retourna vers moi, la figure courroucée. Jamais je ne lui avais vu une telle fureur sur le visage. Le silence était pesant, elle le brisa finalement, la voix enrouée par ces heures de sommeil volées dans le train :

                « Ça va durer encore longtemps ?!

Ses joues avaient pris une teinte rouge. Rouge qui écume, qui fulmine, qui en bégaye presque, rouge colère. Je n’avais jamais trop su que répondre à la colère.

Non content de m’avoir dévisagée durant tout un trajet, voilà que vous me suivez sur le quai maintenant ? Faut-il que je fasse intervenir la police pour espérer que vous me laissiez tranquille ?

… »

Fiona. Que ce nom m’avait paru doux et puissant à la fois. Si j’avais eu une sœur, j’aurais voulu qu’elle se prénomme Fiona. J’aurais voulu qu’elle soit aussi jolie que cette  femme en colère qui venait de me distancer de plusieurs mètres. J’aurais voulu que nous ayons une tante en Normandie, une qui nous aurait permis de préparer des crêpes à deux mains les jours de pluie et qui aurait écouté Take Five en boucle des journées entières.

Je me dirigeai vers la billetterie, un peu déçu d’avoir dû écourter cette vie imaginée le temps d’un trajet et légèrement embarrassé, aussi, d’avoir peut-être effrayé ma Fiona rêvée. Il n’y avait que très peu de monde au guichet, je m’approchai pour prendre un billet. Je demandai à une jeune femme blonde au sourire las quels étaient les départs les plus imminents et en pris un.

Je bus un café avant de m’engouffrer dans un nouveau train prêt à partir mais dont j’ignorais la destination. Je regardai mon billet : j’allais à Lille. Une petite fille prit place près d’un vieil homme que je supposais être son grand-père. Je m’installai en face. Dehors, il pleuvait toujours. De cette pluie fine et lancinante des longs soirs d’hiver dans le nord. Mon père exécrait la pluie mais ma fille, elle, lui vouait une passion à la limite de la dévotion…

 

Boursier Emelyne, Juin 2011.

 

 

 

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6 mai 2012 7 06 /05 /mai /2012 20:30

Fenetre-sur-rue.jpg

 

 

 

"Fenêtre sur rue" est un modeste recueil de nouvelles, inspiré par un concours de nouvelles pour Elle magasine via My Major Company Books. La première nouvelle du recueil, "L'homme au chapeau" est celle qui a concouru pour le concours -sans succès, encore! - et qui a inspiré les suivantes, les inscrivant dans un projet d'ensemble. Il s'agit de solitude, de solidarités et de société, celle qui nous isole et qui nous rassemble aussi - dans un tout hétérogène - qui donne à voir ses paradoxes, les nôtres et les ambivalences de notre monde.

 

Voici donc le premier volet de ce (tout petit) tout:

 

"Paris est une solitude peuplée; une ville de province est un désert sans solitude."

                                                                                           François Mauriac

 


#1 L'homme au chapeau

 

Gaston Bonnet n’avait pas franchi le seuil de la porte de son deux-pièces meublé du 3ème arrondissement de Paris depuis plus de cinq mois. Gaston Bonnet était en dépression et il ne savait pas pourquoi.

Il n’avait plus goût à rien, pourtant, depuis quelques temps il avait trouvé une nouvelle occupation. Tous les jours, il se postait à sa fenêtre, observait l’immeuble d’en face et notait tout ce qui pouvait lui donner des indications sur ses occupants.

Au rez-de-chaussée, se trouvait un homme seul. Il sortait les conteneurs tous les matins, pour les rentrer dans la cage d’escalier le soir. Il s’agissait manifestement  du concierge et il l’avait surnommé Julien Lepers. Et pour cause, tous les jours à dix-huit heures, le quinquagénaire, tranche d’âge supposée par sa coupe de cheveux poivre et sel soixante-huitarde, allumait sa télévision et regardait Question pour un champion, sur France 3. Devant son poste, l’homme s’animait, bondissait de son fauteuil ou secouait la tête, désespéré. Gaston avait pris l’habitude de regarder le même programme tous les jours, pour mieux analyser les réactions de ce téléspectateur à la fidélité obsessionnelle. Il avait visiblement une bonne culture générale mais séchait toujours sur les questions de littérature.

Au premier étage logeait la vieille dame. Elle vivait seule, avait trois chats, et arrosait tous les deux jours un géranium qu’elle avait accroché à sa fenêtre. Il avait pu observer qu’elle préparait toujours deux couverts pour le dîner, et en avait déduit que la veuve alimentait le souvenir sordide d’un défunt mari.

Au deuxième étage vivait confortablement un jeune couple très amoureux. Gaston n’avait jamais poussé le voyeurisme jusqu’à épier leurs ébats, mais il pouvait voir la passion dans tous leurs gestes au quotidien. Ils se touchaient sans cesse, pour un oui ou pour un non, les mains, le dos, les cheveux. Ils avaient également un rituel à la charge érotique contestable : chaque soir, ils se massaient les pieds, à tour de rôle.

Au troisième étage habitait une étudiante. Elle devait avoir vingt ans, avait un physique quelconque et un quotidien rythmé par l’ouverture de livres qu’elle annotait frénétiquement. Il avait observé un détail cependant : elle passait un certain temps au téléphone. À la même heure quasiment tous les jours, elle sortait son nez de ses bouquins et répondait à un appel qui durait un long moment. Il lui prêta d’abord un amour contrarié mais supposa finalement que c’était sa mère qui la harcelait de recommandations domestiques.

Au quatrième étage, c’était animé. Une famille nombreuse y vivait : trois enfants, les parents, un chien et deux hamsters, le tout dans un trois pièces aux proportions ridicules. L’espace privé était un concept inconnu dans ce foyer. Sauf pour Madame, qui profitait de tous ses après-midi pour inviter une amie et siroter des gins tonics. L’absence de son époux, parti travailler, et celle de ses marmots, quant à eux à l’école, semblaient lui redonner le goût du rire. Jamais il ne la voyait tant s’esclaffer que lorsque le restant de la famille était absent.

Au cinquième et dernier étage enfin, vivait un vieux couple de retraités. Moulés par la tendresse et les habitudes, ces deux là semblaient s’émerveiller chaque matin de ne pas trouver l’un d’eux mort dans son lit. Noter tous les faits et gestes des habitants de l’immeuble d’en face était devenu plus qu’un simple passe-temps pour Gaston, au fil des jours. Il se surprenait à se languir de l’arrivée de l’un ou l’autre devant sa fenêtre. Ils étaient devenus la seule occupation pour laquelle il faisait preuve d’enthousiasme et de concentration. C’est alors qu’il le remarqua.

L’homme portait un costume gris anthracite, des chaussures de ville, un chapeau et des gants. Il semblait soigné et élégant et il entrait dans l’immeuble tous les soirs vers vingt-deux heures. L’homme au chapeau intrigua rapidement Gaston Bonnet plus que les autres habitants de l’immeuble. Il se mit à imaginer la vie qu’il menait, le métier qu’il exerçait, l’appartement qu’il occupait et qu’il ne voyait pas de sa fenêtre. Il avait la démarche assurée d’un homme d’affaire. Il supposa qu’il vivait seul, peut être était-il veuf ? Peut être n’avait-il jamais eu ni femme, ni enfants, trop occupé à réussir et à s’enrichir ? Il déboulait du coin de la rue, chaque soir à la même heure, et était le dernier à passer la porte de l’immeuble. Cet intérêt devint rapidement une idée fixe et Gaston se mit à découper mentalement l’architecture de l’immeuble d’en face, pour déterminer l’emplacement du logement qui échappait à sa vue. Ne voyant toujours pas quel appartement il pouvait bien occuper, il supposa que l’homme au chapeau était l’amour contrarié de l’étudiante,  le fils de la vieille dame ou enfin, le père de l’un des deux jeunes gens du deuxième étage. Mais il avait beau s’abîmer les yeux à scruter chaque fenêtre pour voir où l’étranger se rendait, il ne faisait irruption chez aucun des occupants de l’immeuble.

Un soir, alors que la lumière venait de s’éteindre au premier étage, que Lévi-Strauss était nerveusement surligné au troisième, et qu’une paire de pieds se délectait d’un massage au second, il le vit arriver à l’angle de la rue. Bien décidé à satisfaire sa curiosité obsessionnelle une bonne fois pour toute, il se rua dehors et s’apprêtait à l’interpeller lorsqu’il remarqua tout ce que la vue partielle depuis la fenêtre de son deux-pièces lui avait caché. Une somme de détails immondes, qui firent voler en éclats toutes les existences qu’il avait fantasmées à son sujet. Le vieux costume était élimé et rapiécé partout. Le chapeau était troué, les gants également, l’écharpe était sale et la semelle des chaussures recousue par endroit pour tenir. L’homme jeta un coup d’œil à droite et à gauche, pour s’assurer que personne ne l’observait, le concierge ouvrit la porte, rentra les conteneurs poubelles et s’éloigna sans remarquer que l’homme au chapeau troué se faufilait dans la cage d’escalier, derrière lui. Il ne s’agissait donc ni d’un veuf éploré, ni d’un homme d’affaires carriériste, il s’agissait seulement d’un clochard habile, qui avait trouvé un refuge pour passer ses nuits au chaud, au sec et à l’abri de toute agression.

Gaston Bonnet se sentit plus minable que jamais. Lui, son deux-pièces dans le Marais, son boulot, ses conquêtes amoureuses d’un soir et sa dépression. Il  s’accusa, lui, et tous les occupants de l’immeuble d’en face, d’indifférence et d’égocentrisme. Il était en colère et c’était bien la première émotion dont il était capable depuis plusieurs mois d’enfermement. Il rentra chez lui furieux,  jeta ses boîtes d’antidépresseurs à la poubelle, prit une douche, se rasa et décida qu’il était temps pour lui de retourner travailler dès le lendemain.

Il se coucha satisfait de lui-même comme il ne l’avait pas été depuis longtemps, animé d’une énergie nouvelle. Au petit matin, le réveil se déclencha. Gaston Bonnet émergea d’un sommeil profond,  repoussa ses draps sur ses pieds, chercha l’élan de la veille pour mettre son corps en mouvement mais ne le trouva plus. Il s’obstina douloureusement pendant de longues minutes, fit appel à cette image sordide de l’homme au chapeau, qui l’avait si efficacement secoué. Mais la soudaine conscience de sa chance, révélée furtivement par le malheur d’un autre, s’était évanouie. Gaston Bonnet ne réussit pas à sortir de son lit, il sanglota longuement sur son pauvre sort avant de pouvoir se lever pour avaler un quart de Prozac, récupéré dans la poubelle.

 

      Boursier Emelyne 2011

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6 mai 2012 7 06 /05 /mai /2012 17:08

nature 0036    

 

Voici un point de vue sur l'hyperchamp dont la trame est tressée de rêves qui n'ont pas encore de mots, pas de visages. Et qu'a été en vérité ce miracle ? Le foudroiement d'un psychisme qui découvre l'horizon de l'intercérébralité. C'est aussi le constat d'un processus qui aurait pu être le cycle de la vie : Fécondation, gestation, naissance, croissance, stade adulte, vieillesse et mort.Le présent texte n'aura pu expérimenter que les deux premières phases.C'était un temps où les vérités de l'existence tombaient une à une sur le seuil le soir.C'était un temps où les regards échangés étaient garants de la réserve des corps.C'était un temps où le rêve déroulait et scrutait la topologie du coeur.

 

 

 

 

nature 0036

 

 

Nuitées


De celle qui n'a fait que s'évanouir quand je m'approchais,
Et qui m'a trouvé le dos tourné quand elle réapparassait.
Au crépuscule de la vie, nous voîla, aux bords du monde.
Les flammes dans les yeux sont toujours intactes. Inondent
Les larmes qui lézardent l'horizon aux nuages rougeoyants
Et si une réminiscence m'est permise, je me souviens de toi, cheveux ondoyants.
Le vert de tes yeux cristallisant la beauté du monde
Pour mieux voiler les trésors en toi. Ta voix une onde
Qui apaise, exalte le sauvage des sombres cavernes
Et de jalousie émerveillée se sont tues les sirènes.
Quelques rayons dorés percent la chope d'obscurité encore
Bientôt les ténèbres envahiront nos chemins,ce sera la mort.
Toi si proche et tellement insaisissable,
Le moment est arrivé. C'est l'innefable
Jeu sacré et insensé à travers les filets de l'éternité.
S'élèvent des constellations de souvenirs, jamais ne s'effaceront nos nuitées.

 

 

                                                                     Vlad

 

 

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6 mai 2012 7 06 /05 /mai /2012 15:00

Fenetre-sur-rue.jpg

 

 

 

Voici le second volet de l'ensemble:

 

"Paris est une solitude peuplée; une ville de province est un désert sans solitude."

                                                                                           François Mauriac

 


#2 L'homme caché


 

Odette ne sortait que très peu de chez elle. Dehors, elle ne se sentait jamais vraiment en sécurité. Elle était pourtant bien obligée de faire quelques courses, parfois, et acceptait donc d’affronter le monde extérieur en de rares occasions, cédant à la nécessité. L’autre soir encore, aux informations, ils avaient parlé du taux de délinquance de plus en plus élevé. Et c’était bien vrai, elle-même, elle pouvait s’en rendre compte. L’autre fois, pas plus tard que la semaine dernière, son amie Jeannine, qui occupait l’appartement du cinquième avec son époux, s’était fait arracher son sac à main dans la rue. Un incident qui aurait pu lui laisser de graves séquelles, mais fort heureusement, elle n’était pas tombée. Tomber porte à conséquences quand on vieillit, mais on ne le mesure que quand on est vieux. Une simple chute peut vous obliger à abandonner votre logement pour atterrir en maison de retraite. Et il était absolument hors de question qu’Odette quitte son appartement de la rue des Haudriettes. Elle y vivait depuis plus de vingt ans. Vint ans ce n’est pas rien, et qui s’occuperait des ses trois chats et de son géranium si elle était forcée de quitter les lieux ?  Elle aimait son chez elle, et plus que tout, elle aimait être restée autonome malgré son âge avancé. Ce quartier était le sien, elle s’y sentait bien, en sécurité.

Quoi que, depuis quelque temps, elle l’avait remarqué et elle n’était pas tranquille. L’homme était discret et très habile à dissimuler sa présence inopportune, mais Odette avait toujours toutes ses facultés, et elle l’avait remarqué, elle.

Il y avait quelque chose de malsain et de malhonnête là derrière, elle pressentait le danger. L’homme prenait des airs inoffensifs mais il était là et la dérangeait.

Elle avait d’ailleurs essayé d’en parler au concierge, en vain. Un bon à rien celui là, pas fichu de faire son travail correctement, trop occupé à regarder des idioties à la télé toute la journée.  Elle avait confié sa découverte à Jeannine aussi, mais elle n’avait bien évidemment rien remarqué. Et il était malheureusement exclu de pouvoir compter sur d’autres voisins. Le jeune couple du second n’était capable de se soucier que de lui même, les gens amoureux sont d’un égoïsme sans nom. L’étudiante du troisième ne levait jamais son nez de ses bouquins volumineux et se souciait plus des personnages de fiction de ses romans que de ceux qui gravitaient autour d’elle, sans même qu’elle ne s’en aperçoive. Avec ses triple-foyers sur le nez pourtant, elle aurait dû avoir un sens de l’observation plus aiguisé.  Quant à la famille qui occupait l’appartement du quatrième, Odette n’avait même pas songé une seule seconde à leur faire part de ses inquiétudes. La tension qui régnait dans ce foyer l’effrayait davantage encore, elle se contentait d’ailleurs de les saluer courtoisement quand elle les croisait. Rien de plus. Elle n’avait donc personne avec qui discuter de cet événement qui la contrariait davantage de jour en jour. Que faisait donc cet homme ? Pourquoi s’immisçait il ainsi chez eux, dans l’intimité de leurs foyers ? L’intrusion lui paraissait déplacée et dangereuse. Surtout dangereuse. Depuis qu’elle l’avait repéré, elle dormait mal et se levait plusieurs fois dans la nuit pour vérifier si la porte d’entrée était bien verrouillée. Elle sortait déjà peu avant, mais maintenant, avec cet intrus qui rodait, c’était pire. Elle songeait parfois même à se faire livrer ses commissions à domicile. C’est ce que faisaient Jeannine et Albert du reste.

Odette vivait donc dans une sorte d’inquiétude permanente depuis plusieurs semaines lorsqu’elle fut confrontée à bien pire. Du souci lancinant elle passa brutalement à la plus grosse frayeur de sa vie, un soir, alors qu’elle avait pourtant pris la peine d’éteindre toutes les lumières pour simuler le sommeil. Parce qu’elle était quand même futée, Odette, et depuis qu’elle avait remarqué la présence de l’homme caché derrière sa fenêtre, dans l’immeuble d’en face, l’homme qui l’épiait  depuis plusieurs semaines, elle prenait la peine d’éteindre les lumières pour pouvoir l’observer sans être vue. L’arroseur arrosé, se disait-elle, fière de son initiative. Ce soir là donc, elle avait plongé son appartement dans l’obscurité totale pour pouvoir à son tour épier le voyeur, lorsque soudainement elle le vit qui traversait la rue. Elle pensa terrorisée que c’en était fini d’elle. Que l’homme l’avait suffisamment observée et qu’il allait maintenant passer à l’action et faire irruption dans son appartement avec un dessein criminel qui lui faisait froid dans le dos. Quel genre d’homme épie les vieilles dames par la fenêtre ? Les tueurs en série probablement, les violeurs de grand-mère ? Ça existait, elle l’avait entendu la dernière fois à la télévision. Son vieux cœur lui faisait mal dans sa poitrine à force de tambouriner pour sortir et elle était sur le point de défaillir lorsque, grâce au ciel, l’homme s’arrêta net dans son élan et rebroussa chemin. Odette s’approcha timidement de la fenêtre près de laquelle elle ne se tenait plus maintenant, depuis qu’elle avait repéré son manège, sauf pour arroser son géranium ;  elle écarta légèrement le rideau pour essayer de voir ce qui avait dissuadé le pervers de s’occuper de son cas. C’est alors qu’elle reconnut Alphonse. Alphonse et ses chaussures recousues qu’il refusait d’échanger contre une paire neuve ayant appartenu à son défunt mari et qu’elle lui avait modestement proposée. Alphonse était tombé bien bas, mais il ne se plaignait jamais. Il avait tout perdu du jour au lendemain, mais il refusait la pitié et ne s’en prenait qu’à lui-même. Elle avait bien tenté d’en savoir davantage sur les événements qui l’avaient précipité dans la rue, mais le vieil homme restait très pudique. Il tenait à sa dignité. Il arborait toujours une tenue soignée. Il était du reste probablement le seul homme à vivre dans la rue tout en continuant à porter un costume trois pièces. Elle avait du batailler ferme pour qu’il accepte qu’elle lui fasse une lessive de temps en temps. Sa dernière victoire sur l’amour-propre entêté de cet homme avait été une grande joie pour Odette. Il avait fini par céder et par accepter également qu’elle lui fasse partager ses repas. Après tout, elle était seule désormais, alors quand il y en a pour une, il y en a pour deux. Elle cuisinait toujours trop, c’était du gâchis sinon. D’ailleurs, elle avait un reste de blanquette au frigidaire pour lui. Elle en aurait presque oublié de le lui amener avec cette frayeur. Tout à coup elle y pensa. Peut être pourrait elle confier ses angoisses concernant le voyeur à Alphonse, elle n’y avait pas songé jusqu’à présent, mais l’idée n’était pas mauvaise. Pas mauvaise du tout.

 


 

  

      Boursier Emelyne 2011

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5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 18:30

Fenetre-sur-rue.jpg

 

 

 

Voici le troisième volet de l'ensemble:

 

"Paris est une solitude peuplée; une ville de province est un désert sans solitude."

                                                                                           François Mauriac

 


#3 L'ombre au tableau


 

Mathilde et Romuald allaient se marier l’année prochaine.

Mathilde et Romuald s’étaient rencontrés à l’université  de Paris Descartes six ans plus tôt. Elle faisait des études en dentaire, lui finissait pharma. De l’eau avait coulé sous les ponts depuis leur rencontre passionnée. Elle terminait sa thèse cette année, lui exerçait en tant que pharmacien dans un établissement  du 3ème arrondissement. Mais s’il y avait bien une chose qui n’avait pas changé, c’était l’intensité de leur rapport amoureux.  Depuis qu’ils s’étaient installés ensemble, rue des Haudriettes, tout était encore plus intense. Ils en avaient mis du temps, pour y venir, à cette vie commune qu’ils appréhendaient tous deux, comme si elle allait anéantir la fusion, mais depuis qu’ils avaient osé se lancer, ils ne le regrettaient pas.

Tout fonctionnait à merveille. Le quartier était formidable, le voisinage peu gênant et leur petit deux-pièces avait été repeint et redécoré par Mathilde elle-même. Elle en avait fait un petit cocon douillet et très Feng Shui dont elle était fière.

La routine, si communément désignée comme principale responsable des couples en échec, ne les avait toujours pas touchés. Ils survolaient le quotidien, trop occupés par leurs évolutions de carrière respectives, ils n’avaient finalement que très peu de temps pour eux, le soir, et c’était très bien. Leur désir de se toucher était toujours aussi puissant, celui de discuter, de faire l’amour et de rire ensemble également. Ils avaient même découvert le plaisir trivial de préparer à deux mains des quiches et des gâteaux. Ce jeune couple était en somme très heureux, c’était la caractéristique qui revenait le plus souvent pour les définir. Il y a finalement peu de mots pour évoquer la béatitude. Le voisinage n’avait pas trouvé grand-chose pour ragoter sur leur dos. Les deux vieilles dames de l’immeuble avaient pourtant bien essayé. Mathilde les avait surprises, sur le palier du premier étage, en train de murmurer en l’apercevant et feignant de se taire dès son arrivée. Mais les deux commères n’avaient pas trouvé autre chose à dire sur leur compte qu’ils étaient un couple amoureux. Il en faut toujours un dans un immeuble. Un couple d’amoureux transis. C’était eux, et ça ne gênait pas Mathilde de porter cette étiquette. Elle la préférait même, et de loin, à celle de la pauvre femme au foyer du quatrième ou encore à celle de la brillante étudiante mal baisée du troisième. S’il fallait à tout prix que les langues bien pendues de ses voisines puissent faire correspondre son couple à un cliché, elle aimait autant que ce soit celui là.

Pourtant, puisqu’il en faut toujours une, il y avait depuis peu une ombre au tableau.  Leur idylle parfaite avait été entachée par un désaccord, plus profond cette fois que tous ceux auxquels ils avaient dû faire face depuis leur rencontre. Tout avait commencé un soir où Romuald avait oublié de descendre les poubelles. Mathilde s’était résignée à le faire elle-même, bien qu’elle répugnât généralement à franchir le seuil de son appartement passé vingt-deux heures, elle n’avait pas eu le cœur à déranger son cher et tendre déjà confortablement affalé sur le canapé. Bien sûr, le tas de déchets aurait pu attendre le lendemain pour être jeté, mais Mathilde était faite, comme tout un chacun, de petites maniaqueries obsessionnelles. Celle-là allait lui coûter son mariage à venir mais l’aurait elle su qu’elle n’en aurait peut être rien changé : elle ne supportait pas de voir une poubelle devant sa porte.

Elle adapta donc sa tenue à l’escapade nocturne et enfila un gilet et des tennis qui appartenaient à Romuald par-dessus son propre pyjama de flanelle. Elle n’était qu’à deux étages des conteneurs poubelles, qui devaient se trouver dans la cage d’escalier, si ce fainéant qui leur servait de concierge avait pensé à faire son travail. Cela lui aurait déplu de devoir apparaître, même furtivement, au beau milieu de la rue dans cette tenue. L’odeur d’une blanquette de veau réchauffée lui assaillit les narines au niveau du premier étage. Il lui semblait parfois que toutes les odeurs de nourriture de l’immeuble s’échappaient de cet appartement là. Elle ralluma la minuterie et cru entendre la porte de Madame Bouscaud se verrouiller. Il était pourtant peu vraisemblable que la veuve ne soit pas déjà couchée à cette heure, son imagination lui jouait des tours. A mesure qu’elle se rapprochait des poubelles, que le concierge avait daigné rentrer, l’odeur de blanquette s’intensifiait curieusement.

Mathilde ralentit soudainement la cadence de son pas pour tendre l’oreille à un bruit qu’elle venait de percevoir. Elle s’arrêta au milieu de l’escalier, à quelques marches de son but, et retint sa respiration pour mieux l’entendre. Le silence de la cage d’escalier déserte était rompu par un tintement familier qu’elle mit toutefois plusieurs minutes à identifier : celui des couverts dans une assiette. Quelqu’un était en train de dîner, dans la cage d’escalier de son immeuble, et manifestement à côté des ordures. L’idée lui parût grotesque mais le bruit était net et très réel. Elle pouvait même entendre la mastication régulière d’une mâchoire affamée. Elle passa rapidement en revue la liste de ses voisins et bien que le concierge fût un peu bizarre, que la veuve Bouscaud perdît légèrement la tête et que la gamine du troisième fût excentrique parfois, elle ne voyait pas pourquoi l’un d’entre eux serait en train de déguster une blanquette de veau, près des poubelles.

Mathilde rassembla tout son courage, ralluma la minuterie et dérangea dans son festin un homme qu’elle ne reconnut pas comme étant l’un des occupants de l’immeuble. Le tête-à-tête silencieux, durant lequel les deux parties s’observaient, méfiantes, fut interrompu par la jeune femme :

       « Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? »

Et comme elle continuait à le détailler tout en parlant, elle remarqua les innombrables raccommodages de son costume de fortune, le rapiéçage des chaussures et le noir sous ses ongles. Elle n’attendit pas de réponse et se précipita dans les escaliers. Elle referma la porte de son petit nid douillet Feng Shui, non sans oublier de la verrouiller, trois fois, et se jeta sur un Romuald à moitié endormi pour lui raconter sa rencontre inattendue.

Lorsqu’elle eut terminé l’explication, aux exagérations hystériques, de la peur de sa vie, la jeune femme, empourprée par sa course dans les escaliers contre un homme qui n’avait pas même eu le temps de se relever, attrapa le téléphone.

Romuald, que le récit de sa future épouse avait amusé légèrement, s’enquit du destinataire de ce coup de fil, persuadé que c’était à sa meilleure amie que Mathilde s’apprêtait à raconter sa mésaventure.

       « A qui tu téléphones chérie ? Il est tard.

Et bien, à la police voyons ! On ne va pas laisser n’importe quoi squatter notre immeuble si ? »

Trop occupée à prévenir la police de la présence indésirable d’un clodo dans la cage d’escalier de son immeuble, Mathilde ne remarqua pas immédiatement l’expression de dégoût qui venait de se peindre sur le visage de son conjoint. L’ombre au tableau merveilleux venait de prendre des airs de divergences d’opinion profondes et de mépris.

 



  

      Boursier Emelyne 2011

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