Voici un poète qui a déjà eu droit à un article sur Create On Earth. Ce n'est pas le lieu ici pour développer une nouvelle analyse de cette oeuvre. Simplement le désir de partager avec vous ce magnifique poème. Une remarque cependant. Comment ne pas rester interdit face à cette écriture qui sait si bien, et avec une telle modestie, investir notre quotidien avec la pure présence de l'état d'être purement poétique ? Ainsi le quotidien se trouve en suspens, transpercé de part en part par une origine insondable qui s'éloigne à l'infini, immémorial... et un sens à venir tout aussi infini, indéfini dans sa possibilisation, édifiant le chemin, pas après pas.
Vlad
La Maison Bleue
Par une nuit de soleil éclatant. Je suis dans la forêt touffue et regarde ma maison couleur de brume. C'est comme si j'étais mort récemment et que je la regardais sous un angle nouveau.
Elle est là depuis plus de quatre-vingts été déjà. Son bois est imprégné de quatre couches de joie et trois couches de douleur. Quand celui qui l'a habitée meurt, on repeint la maison. Le mort la peint lui-même, sans pinceau, du dedans.
De l'autre coté, il y a un terrain découvert. un ancien jardin, aujourd'hui à l'abandon. Des brisants immobiles d'herbes folles, des pagodes d'herbes folles, un texte qui jaillit, des Upanishad d'herbes folles, une flotte viking, des têtes de dragons, des lances, un empire d'herbes folles !
Au-dessus du jardin abandonné voltige l'ombre d'un boomerang, lancé encore et encore. Il est relié à quelqu'un qui a vécu dans la maison, bien avant mon époque. Presque un enfant. Une impulsion en émane, une pensée, une résolution : "créer...dessiner..." pour pouvoir échapper à son destin.
La maison ressemble à un dessin d'enfant. Une candeur intérimaire, apparue parce que quelqu'un s'est bien trop défait du mandat de l'enfance. Ouvrez la porte et entrez ! Ici, dans la maison, l'agitation règne sous le toit et la paix dans les murs. Le tableau d'un peintre amateur est accroché au-dessus du lit: il représente un bateau de dix-sept voiles, des crêtes de vagues qui moussent et un vent que le cadre doré ne parvient pas à contenir.
C'est toujours aussi tôt ici, c'est avant la croisée des chemins, avant les décisions irrévocables. Merci pour cette vie ! Je manque pourtant d'alternatives. Toutes mes esquisses veulent devenir réalité.
Au loin, sur l'eau, un moteur étire l'horizon de cette nuit d'été. La douleur et la joie se dilatent ensemble, sous le verre grossissant de la rosée. En fait, nous ne savons pas, mais nous pressentons qu'il existe un bateau jumeau de notre vie, qui suit un tout autre cours. Alors que le soleil flambe derrière les îles.
Transtromer